Si la négociation constitue une technique, elle est sous-tendue la plupart du temps par une philosophie plus ou moins consciente, plus ou moins rationnelle, plus ou moins explicite. Il est assez rare qu’elle soit formalisée et c’est pourquoi il nous a semblé intéressant de donner à lire l’article publié par Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, dans Le Monde du 1er avril.
« Même s’il est opposé à la « loi travail », Force Ouvrière défend le réformisme et plaide pour que le syndicalisme soit un maillon du progrès social. D’autres syndicats sont réformateurs et préfèrent jouer un rôle sociétal.
Pour qualifier les syndicats qui trouvent que le projet de loi sur le travail va dans le bon sens, des ministres les qualifient de réformistes. Par opposition à ceux qui demandent le retrait du projet de loi, qualifiés, eux, de contestataires. D’une manière générale, nous sommes habitués aux visions binaires de type oui/non ou pour/ contre, notamment caractéristiques des processus référendaires.
Mais, au-delà de cette vision quelque peu simplifiée, voire simpliste, l’opposition réformiste/contestataire ne peut pas décrire le syndicalisme. Si une opposition entre deux termes a existé, c’est entre réformiste et révolutionnaire, entre syndicalisme de classe et syndicalisme du bien commun en tant que corps intermédiaire. Aujourd’hui, le syndicalisme révolutionnaire organisé n’existe plus. Cela signifie-t-il que tous les syndicats sont réformistes ? Non.
De la même manière que Jean Jaurès disait « le courage c ’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel », nous considérons que le pragmatisme syndical ne saurait s’exonérer de l’idéal d’émancipation, sauf à perdre son sens, son cap, sa raison d’être.
Force ouvrière est une organisation réformiste. Notre réformisme s’est toujours exprimé, sans dévier, par un attachement au principe et à la pratique du contrat collectif et de la négociation qui va de pair, pour nous, avec la liberté de comportement et l’indépendance du syndicat.
Cela se traduit notamment par la signature de nombreux accords, à tous les niveaux, quand nous jugeons que le compromis est effectivement atteint. Cela explique aussi que nous ne signons pas certains accords quand, justement, nous pensons que le compromis est mauvais.
Par ailleurs, et l’un de nos slogans historiques est de ce point de vue révélateur (« un syndicat, pas un parti »), nous considérons qu’en démocratie syndicat et parti ont des rôles différents. Tous deux relèvent de la démocratie par mandat, représentative, mais le syndicat représente les salariés (actifs, chômeurs et retraités) quand le parti s’adresse aux citoyens. D’autres ont une conception différente du syndicat. Ce dernier doit être porteur d’un projet de société, impliqué dans la gestion de l’entreprise ou de l’Etat, autogestionnaire hier et cogestionnaire aujourd’hui. Ce syndicalisme-là se rapproche du mode de fonctionnement des partis politiques : il mise beaucoup sur les élections et est favorable aux référendums.
Une autre différence réside dans le rapport à la République : nous sommes profondément attachés aux principes républicains et à leur mise en œuvre réelle. Ainsi, l’égalité de droits impose le niveau national de négociation dans la branche quand d’autres prônent la décentralisation de la négociation au niveau de l’entreprise.
Nous sommes réformistes. Ils sont réformateurs. Ils donnent au syndicat un rôle sociétal, là où nous lui donnons un rôle social. L’antonyme de « réformateur », c’est d’ailleurs « conservateur ». Cela explique pourquoi Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, dit : « C’est la réforme ou le statu quo. »
L’antonyme de réformiste, c’est réactionnaire. C’est pourquoi nous soutenons une réforme – quand elle relève du rôle du syndicat – si elle est pour nous synonyme de progrès social. Sinon, nous la combattons comme nous le faisons actuellement pour la « loi travail ».
C’est aussi pourquoi nous n’accompagnons jamais un gouvernement quel qu’il soit. Etre réformiste militant impose l’indépendance du syndicat. Etre réformateur non. »